« Étymologiquement, le mot « diable » a d’ailleurs le sens très mercurien de « celui qui sépare, qui disperse, qui désunit ». Mercure disperse ce qu’Uranus a rassemblé, Mercure est le vent qui éparpille ce qui n’est pas ancré dans la terre. Le rôle diabolique de Mercure est de révéler ce que les valeurs ‘R’ toutes faites peuvent avoir de ridicules et de figées ». Rémi Valet (La Lolita de Nabokov).
À propos du Mercure de Nobokov et de Mercure en général, Rémi Valet n’a que des mots justes parce qu’il sait, en théorie comme en pratique, que les modèles urano-mercuriens du R.E.T. 1 et du Logoscope réunissent symbole et signal ; les images et leurs explosions en diverses définitions.
Analysant L’Esprit Mercure 2 au travers ses mythes, légendes et symboles alchimiques, C.G. Jung a reformulé l’essentiel des facettes de Mercure dans le R.E.T. Parce que visuel (cerveau droit), le dessin eut été plus complet que le discours, la compréhension de l’esprit de Mercure et de ses fonctions plus immédiate.
Le schéma circulaire du R.E.T. 3 place le Soleil en haut, Pluton en bas. La fonction mercurienne réunit les deux, ainsi que sa formule ‘tR’, Transcendance intensive côté Pluton, Représentation extensive côté Soleil. Il participe des opposés en réunissant le clair et l’obscur, le visible et l’invisible, tous les extrêmes qu’on lui accorde. Jung commente sa nature double pour souligner aussitôt sa multiplicité, passage du « Un » solaire au « Quatre » plutonien (né sous une conjonction Lune-Pluton avec Pluton au FC, Jung a fait du chiffre 4, associé à la Transcendance dans le R.E.T., le symbole de la globalité). Dans les extraits qui suivent, sauf indication contraire, c’est moi qui souligne.
Mercure comme nature double
Fidèle à la Tradition d’Hermès, Mercure est un être aux mille facettes. […] Il passe en général pour double. On dit de lui qu’ « il court de par le monde et se plaît aussi bien en compagnie du bien que du mal ». Il est les « deux dragons », il est le « jumeau », né de « deux natures » ou « substances ». […] Les deux substances du Mercure sont conçues comme différentes, voire même opposées : en tant que dragon il est « volant et sans ailes », et on dit de lui dans une parabole : « Sur cette montagne se trouve un dragon qui toujours veille, nommé ’partout pourvu d’yeux’, car son corps, des deux côtés, devant et derrière, est plein d’yeux et il dort ouvrant les uns, fermant les autres ». Le Mercure est fait de « matière terrestre sèche et de viscosité humide, et on distingue en lui le Mercure ordinaire et le Mercure philosophique ». Deux éléments sont passifs en lui, à savoir la terre et l’eau, et deux sont actifs, l’air et le feu. Il est bon et mauvais.
Il est facile d’identifier le dragon qui est « plein d’yeux » et qui « dort ouvrant les uns, fermant les autres » au zodiaque universel ou au photopériodique réunissant le jour et la nuit, la partie terrestre qui dort à la partie qui veille, alternativement. La quaternité bipolarisée par les Éléments (l’Air et le Feu, côté Soleil, la Terre et l’Eau, côté Pluton) se représente dans le Logoscope par le passage du Un au Quatre ; transition ou transformation, l’Un devient Quatre. Pour cela, la différence duelle entre la Terre et l’Eau, l’Air et le Feu est supprimée. Le symbolisme ne le dit pas : la quaternité en tant que sur-dualité élimine la dualité simple et commune du duo-duel. En duo, la Terre et l’Eau sont « froides » mais en duel, la Terre est sèche, l’Eau est humide. En duo, l’Air et le Feu sont « chauds », mais l’Air est humide et le Feu est sec. Par conséquent, pour aller directement à la quaternité, le Mercure traditionnel saute la différence entre le sec et l’humide. Pourquoi n’a-t-on pas réunit le sec de la Terre et du Feu contre l’humide de l’Air et l’Eau ? Parce que le symbolisme est insuffisant par rapport à ce qu’il génère et qui le prolonge dans le référentiel signal. Ainsi, les trois groupes de Signes de l’astrologie naturelle, équinoxiaux, médians et solsticiaux, réunissent aussi bien le sec et l’humide que le froid et le chaud parce que ces trois groupes de chacun quatre Signes, sont fondés sur des signaux (rapports caractéristiques entre présence et absence, arc diurne / arc nocturne) et non sur un analogisme omniscient.
Jung cite un ouvrage qui décrit le dragon Mercurien alchimique et la suite innombrable de ses antinomies, abstraites et concrètes, mises au rang de symboles. En déclinant son identité, ce dragon protéiforme prend soin d’avertir du danger que présente sa fonction « non-E » :
« Seul celui qui se met à ma recherche selon les règles de l’art saisira en moi ce sur quoi je repose et ce qui repose sur moi. Mon eau et mon feu détruisent et rassemblent ; de mon corps tu extrairas le lion vert et le lion rouge. Mais si tu ne parviens pas à me connaître exactement, mon feu détruira en toi tes cinq sens. […] Les philosophes m’appellent Mercure ; mon époux est l’or (philosophique) ; je suis le vieux dragon répandu partout sur la terre, père et mère, jeune homme et vieillard, très fort et faible, mort et réparation, visible et invisible, dur, tendre ; je descends dans la terre et monte au ciel, je suis le plus haut et le plus bas, […] Je suis connu et pourtant n’existe pas du tout. »
Malgré cette déclaration de « non-E », le portrait de Mercure n’est vraiment complet qu’associé à sa fonction inverse, le ‘rT’ d’Uranus, également « non-E » 4 Le cercle Soleil-Mercure-Uranus-Pluton réunit microcosme et macrocosme, le mésocosme qu’il contient et contourne étant réservé à la croix de l’Existence.
Faisant fi du dragon au mille yeux, l’astropsychologie d’un symbolisme rabougri ne voit en Mercure que sa dualité par le caducée de la Vierge, les Castor et Pollux des Gémeaux. Il n’est que jeunesse, alors que la typocosmie place la maîtrise de Saturne dans le Signe des Gémeaux et que pour Jung « la caractérisation de Mercure comme vieillard et comme enfant est un autre aspect de la contradiction de Mercure ». Ce qui le relie à Saturne :
La représentation d’Hermès en vieillard dont fait état l’archéologie le rapproche à l’évidence de Saturne et ce rapprochement joue un rôle considérable dans l’alchimie. Mercure se compose réellement des opposés les plus extrêmes : d’un côté, il est indubitablement apparenté à la divinité, de l’autre on le trouve dans les égouts 5.
Le Soleil convient à la symbolique de la divinité mais les égouts ne conviennent que partiellement à la fonction « non-E, non-R » de Pluton. Dans cette relation, la symbolique prend le positif de la symbolique solaire pour le relier au négatif de la symbolique plutonienne. En conditionalisme le Soleil étant défini par « l’unité démesure » et Pluton par le « flou-impeccable », en reliant par la voie mercurienne le divin aux égouts, on ne retient des relations possibles, que l’unité solaire (divine) et le flou plutonien (les égouts) au lieu d’en prendre l’impeccable.
Ce lien mercurien, entre les côtés positifs du couple Soleil-Pluton, à savoir de l’Unique à l’impeccable, concerne en alchimie la transformation du plomb en or… et en astrométrie celle du système solaire réduit à son centre (le Soleil) au Soleil étendu, par son champ et ses planètes, jusqu’à sa limite de cohérence. Pluton, l’exclu, le lointain, le problématique, devient alors le plus grand Soleil. Par sa distance, il en accroît le rayon, et donc la dimension de sa sphère qui du visible éclatant devient sombre et invisible, telles les métamorphoses et les tours de magie de Mercure. Les alchimistes ne connaissaient pas Pluton, mais ils connaissaient Saturne comme dernière planète du système solaire, et ce que j’explique par Pluton, ils l’ont appliqué à Saturne qui gouverne le plomb. En alchimie moderne, depuis la découverte de Pluton, il faut changer, non pas le plomb en or, mais le plutonium. Ou les égouts en divinité (avec les médias, la télé et les psychanalyses, c’est fait). Ou tout ce qui sort du cloaque du saurien en matières recyclables. Ces problèmes de transformation sont au cœur des temps modernes et la science s’est substituée à l’alchimie pour des résultats qui changent aussi bien la Nature en sites de poubelles radioactives qu’en source de longévité (pierre philosophale), de prothèses confortables et de sécurité. Du Soleil à Pluton le lien mercurien est un va-et-vient entre le Bien et le Mal qui ne font qu’Un en deux fois deux (aller-retour du cercle du Logos).
Jung ne dégage pas seulement le Un, le double et le quadruple des mythes, légendes d’Hermès et Mercure. Il en ressort le ternaire et la trinité. C’est un serpent (un petit dragon) à trois têtes dont l’une, à mon avis la « non-E », dodeline et se moque de ses consœurs comme elles se moquent d’elle, selon les circonstances. Le temps intervient dans la structure pour changer l’opposition en alliance, le duo en duel, et le vice en versa que l’on soit deux ou trois.
La trinité de Mercure, écrit Jung, n’est pas la Trinité de la théologie chrétienne qui a diabolisé Lucifer, car Mercure est le « premier-né », un diable sauveur et conducteur, frère aîné du Christ :
Le Mercure étant souvent appelé ‘filius’ (fils), il ne fait pas de doute que c’est là sa qualité dominante. Aussi est-il par rapport au Christ comme un frère et second fils de Dieu, second fils qui en fait, d’après la chronologie, doit être tenu pour l’aîné, et serait donc le premier-né. […] Mais en même temps Mercure n’est pas « qu’un pendant ou adversaire du Christ (dans la mesure où il est ’fils’ ) », il est aussi et surtout adversaire de la Trinité [la Sainte Trinité ], conçu qu’il est lui-même comme trinité 6.
La trinité mercurienne fait bonne figure dans le R.E.T., et elle n’est pas très catholique. Le 3 fois 3 du R.E.T. se décompose et recompose de plusieurs manières dont l’une est la dynamique triptyque de la montée, la descente, la stabilité ou le mouvement rectiligne du haut, du centre et du bas.
La réunion des trois parties + leur somme, donne 10 avec la Lune qui contient le neuf dans l’œuf de la globalité indifférenciée (fonction lunaire d’homogénéité). Voilà l’illustration parfaite du propos d’un alchimiste grec (Ostanès) à son élève Cléopâtre :
« En toi est caché tout le mystère terrible et merveilleux… Dis-nous comment le plus haut descend vers le plus bas, et comment le plus bas monte vers le plus haut, et comment le milieu s’approche du plus élevé pour unifier le milieu 7 ».
Mercure est également appelé « un système de forces d’en haut dans le monde d’en bas ». L’image du R.E.T. montre que l’inverse est aussi vrai. Jung a beaucoup insisté sur la parenté de Mercure avec Saturne.
« C’est son rapport avec Saturne qui est avant tout important pour l’interprétation de Mercure. En tant que vieillard, il est identique à Saturne 8. Et d’ailleurs bien souvent, spécialement chez les Anciens, ce n’est pas le vif-argent, mais plutôt le plomb lié à Saturne qui représente la prima materia. […] Le rapport et l’identité avec Saturne sont importants, parce que celui-ci n’est pas seulement le maleficus, il est même le lieu de résidence du diable en personne 9 ».
En conditionalisme, la théorie des âges ne fait pas de Saturne un vieillard mais un adolescent « grave » et non pas simiesque comme aime à le représenter, au nom de Ptolémée, une astrologie dénaturée, mais pratique et rentable. Selon la même théorie des âges, Mercure n’est pas un adolescent infantile mais un « premier-né » (cf. Jung). Son cycle héliocentrique de 3 mois est le premier qui vient après le cycle de la Lune géocentrique de 1 mois (arrondi). Mercure marque ainsi le pont ou la rupture entre la mère (Lune) et le fils, entre le monde sublunaire et le monde supralunaire. Soit du R.E.T. indifférencié (Lune-mère) au R.E.T. différencié par neuf fonctions planétaires autour du Soleil-père.
Les investigations performantes de Jung dans les mythes et légendes autour de Mercure, au bilan dont ne parle pas chez les astrologues symbolistes, ne font pas seulement état de sa parenté avec Saturne, Mercure est également lié Vénus… pour des raisons astrométriques, c’est-à-dire relevant des signaux transformés en symboles :
Grâce à sa nature à moitié féminine Mercure est souvent lié à la Lune et à Vénus. En tant que son propre consort divin il devient facilement déesse de l’amour, de même qu’en tant qu’Hermès il est ithyphallique 10 […]. Le rapport du vif-argent avec la Lune, c’est-à-dire avec l’argent est évident. En tant que Mercure scintillant ou rayonnant, celui qui apparaît dans le ciel matinal ou vespéral dans la proximité immédiate du soleil, il est comme elle, Lucifer, celui qui apporte la lumière. Il annonce pour l’étoile du matin, mais encore plus directement, la lumière à venir.
Mieux que le vif-argent, le rapport avec la Lune prend tout son sens avec la théorie des âges qui fait du cycle de Mercure, le premier-né après le nouveau-né (cycle lunaire de la naissance à 1 mois). Si l’on groupe tout ce qui brille vivement, le Soleil, la Lune, les deux planètes qui escortent « l’astre du jour », l’or, l’argent, le mercure… on a le « grand R » dans les signaux astrométriques et dans les métaux « lumineux » qui les symbolisent. La parenté de Mercure avec le Soleil et Vénus découle de leur appartenance commune au « grand R », tout comme la parenté avec Saturne et même Pluton, découle de leur appartenance commune au « petit t » de la transcendance intensive, diabolique parce que « non-R » pour Saturne et Pluton. Par le « petit t », Mercure « grand R » est complice de deux voyous des égouts. Il est clair que cette contradiction intrinsèque, logiquement démontrée, a été intuitivement perçue mais qu’elle trouve dans le modèle du R.E.T. une représentation plus expressive et adéquate que celle du dragon au mille facettes. L’union fait la force dit-on. Celle du haut qui par le bas se prolonge dans les égouts, du Bien et du Mal, du divin céleste et du divin funeste, créent l’ambiguïté et le mensonge. Notre époque et ses feuilles de chou médiatiques en font leurs choux gras.
Mercure, ce dieu ambigu, vient en tant que lumen naturae, en tant que servator et salvator, [Jung souligne] en aide à celui-là seul dont la raison vise la plus haute lumière que l’humanité ait jamais reçue et qui, au demeurant, ne s’en remet pas à sa seule cognitio vespertina. Car alors la lumière naturae devient un dangereux feu follet, et le psychopompe un diabolique séducteur. Lucifer qui pourrait apporter la lumière devient esprit du mensonge : à notre époque il célèbre les orgies les plus scandaleuses, soutenu par la presse et la radio, et précipite à leur perte des foules innombrables.
Pour conclure, je termine par ce que j’aurais dû commencer, une citation de Jung qui, dans son exploration exhaustive de la symbolique alchimique et astrologique, n’a exhumé que le tiers du R.E.T. : le groupe descendant de Vénus, Mercure, Saturne :
« Comme je l’ai déjà montré, Mercure a une parenté étroite non seulement avec Vénus, mais aussi avec Saturne : en tant que Mercure il est iuvenis et en tant que Saturne, senex ». (Jung souligne).
Retournez la figure afin que la parole d’Hermès se réalise, le haut devient le bas, le bas devient le haut… Pluton un grand Soleil, le Soleil un Pluton caché. Tout ce qui monte redescend, tout ce qui descend remonte. Il n’y a que Mars et la Lune, couple central qui ne change pas. Même en mouvement le centre reste au centre. Autour de lui et du R.E.T., les phases de la Lune (r.e.t. intensif) marquent les transitions du clair (‘R’) à l’obscur (‘T’), étapes successives des renversements du haut en bas, du bas en haut. La Lune ne tourne pas autour de Mars mais leur symbolique sont liées (ainsi que leurs rapports L/g) comme le sont le centre dans la sphère, le germen dans le soma, la force dans le ventre. L’objectif alchimique peut-être de changer le Logos-discours « non-E » en réalité « grand E ». L’or n’est plus philosophique mais monnaie sonnante et trébuchante, le bonheur, l’éternité, le Bien ne sont plus des mots parmi d’autres ou des analogies. Le noir et le blanc, le sombre et le brillant, deviennent vert et rouge, couleurs de la vie.
Jean-Pierre NICOLA
Article paru dans le n° 29 des Cahiers conditionalistes (2004).
Notes :
- https://astrologie-moderne.eu/Le-modele-R-E-T-R-de-l-Astrologie
- Essais sur la symbolique de l’esprit. C.G.Jung. Éd. Albin Michel. Paris. 1991
- https://astrologie-moderne.eu/INTENSIFS-EXTENSIFS
- Il n’y a pas de négatif absolu. Le « non » n’indique pas une suppression, il marque une indisponibilité relative qu’il faudrait interpréter comme les planètes non-dominantes ou la fonction inférieure dans la typologie de Jung. Le « non » signifie que le ou les niveaux concernés ne caractérisent pas la fonction principale de la planète. Pas plus que la robotique de l’uranien, l’habileté du mercurien bricoleur ne relèvent du « grand E ». Le sens du « non » est à réviser comme indicateur d’une fonction mal gérée, « à côté », mais qui peut devenir ludique ou surcompensatrice. A l’inverse de Jung qui pense qu’une fonction inférieure n’en fait qu’à sa guise dans l’inconscient et se montre systématiquement destructrice, avec le concept de « surconscient », il est possible que la fonction principale s’amuse avec la fonction inférieure et joue « au plus fort des deux », comme un maître avec son chien, et Faust avec le diable. Mais, problème mercurien : qui est le maître, qui est le chien ? Et pour vaincre le diable, Faust ne serait-il pas son double ?
- Essais sur la symbolique de l’esprit. C.G.Jung. Opus cité.
- Ibid.
- Extrait de : Alchimistes grecs de Berthelot. Cité par C.G.Jung dans Les racines de la conscience. Éditions Buchet/Chastel. Paris. 1971.
- On est à mille lieux et mille yeux du Mercure représenté par un adolescent sautillant dans le Manuel d’Astrologie d’un auteur qui oppose sa version du symbolisme à son aversion du conditionalisme.
- Essais sur la symbolique de l’esprit. Opus cité. Jung souligne.
- Ithyphallique. Selon l’étymologie grecque : pénis droit. Ithyphalle : homme qui figurait dans les bacchanales, vêtu en faune ou en satire, et qui portait un phallus de cuir ou de bois attaché à sa ceinture. Dictionnaire National de la Langue Française. M. Bescherelle. Paris. 1861.