L’astrologie serait à ma connaissance la seule de ces sciences interprétatives puisant à la source du réel physique. Ce qui lui vaudra de ce double héritage, un double langage l’exposant aux tirs croisés des visions exclusivement monoculaires. D’un côté le camp des magico-symbolistes purs et durs, pour qui tout ne s’explique que par le symbole, de l’autre les
ultra-scientifiques, pour qui le monde ne s’explique que par lois physiciennes. Cette dualisation extrême des points de vue semble attester que le monde possède deux réalités coexistantes, séparées, sans contagion possible ou enrichissements féconds mutuels. Est-ce un état de fait inhérent au réel ou une vision du monde inhérente à la nature de notre univers mental et perceptif ?
Avant de décrire cette position inconfortable de l’astrologie et ses rapports aux sciences de l’objet et disciplines du sujet, j’introduirai quelques éléments de philosophie et de réflexion sur la notion de réalité, d’objectivité et de subjectivité. Histoire de poser les bornes d’un réel qui pourtant dépasse en largeur, hauteur et profondeur ce que nous pouvons en penser.
Pour ne pas perdre le fil de mon discours, je placerai en arrière plan de ma réflexion la symbolique du caducée exprimant pour moi la conjonction possible des contraires dans la visée d’un sens à faire émerger de l’horizontalité sans perspective de nos déterminismes.
Cette vue place le sujet dans la position d’un observateur extérieur à lui-même, décentré, qui regarde le monde de façon abstraite (dans le sens de tirer hors de soi, séparer selon la racine latine), objective. Cette conception du monde a été remise en question par les lois quantiques de la physique au début du siècle. Mais cette notion imprègne encore nos modèles de pensée à la façon d’un paradigme indépassable. L’origine de cette pensée prendrait sa source dans la philosophie grecque présocratique, mais aussi au début de notre époque moderne relayée par Copernic et la philosophie cartésienne 1.
Cette vision du monde affirme l’objectivité du réel : le monde possède ses propres lois indépendamment du constat ou de l’expérience que je peux en faire. Le sujet est ainsi évacué au profit d’une objectivité accessible par la raison. Derrière les qualités (ordre subjectif) demeure un quantitatif mesurable (ordre objectif). De cette approche l’astrologie a hérité de tout un pan explicatif par l’externe, par les réalités objectives mesurables.
Cette vision du monde dualiste nous apporte une connaissance sur les lois de l’univers, certes, mais l’homme lui, est-il explicable pas ses mêmes lois ? Cette question que soulève ce dualisme, Socrate l’avait déjà posée à ces prédécesseurs (Démocrite, Héraclite, Anaximandre). La question du gnoti seauton (le fameux « Connais-toi toi-même ») est toujours d’actualité puisque la question de l’homme reste entière malgré les siècles de philosophie, de religions, et de sciences et techniques ! Socrate ouvre donc une brèche dans la philosophie naturelle : le problème de l’homme est bien plus dans l’homme que dans la connaissance des lois de l’univers. De cette approche centrée sur l’homme, l’astrologie en sera héritière dans ses courants humaniste et spiritualiste.
C’est avec la phénoménologie que la relation entre l’homme et le monde, entre le subjectivisme et l’objectivisme prendra valeur de réalité. Détrônant ainsi le statut d’objectivité d’un monde bien abstrait, sans saveur ni odeur, à la faveur de la rencontre ‘phénoménale’ du sujet et du monde. Dans cette visée phénoménologique, le monde et les phénomènes ne sont rien sans l’existence d’un sujet, d’une conscience ou d’une subjectivité qui les fondent et leur donnent sens. L’objet se donne ainsi dans une subjectivité. Subjectivité sans laquelle l’objet ne pourrait révéler sa nature en-soi.
A mon sens la relation entre Astrologie et Phénoménologie est assez étroite. Il y a là une pensée qui ne sépare pas radicalement l’Objet et le Sujet et laisse tout un champ de fécondation et mariage possibles entre l’externe et l’interne, entre le Ciel et l’Homme, champ relationnel qui est lieu même du discours astrologique.
La grande idée de l’astrologie partagée par la plupart des approches tant psychologiques, symboliques ou rationnelles postule l’unité du monde et du sujet en accordant au sujet une place centrale puisque c’est lui qui en fin de compte perçoit et décode le monde dans lequel il vit et avec lequel il partage les structures vivantes et non vivantes. Le thème astral en est l’illustration la plus parlante puisqu’il donne la représentation des structures célestes depuis le point de vue du sujet au moment de sa naissance. Cette conception centrée mais non séparatiste du sujet dans le monde prend son origine dans la religion (dans le sens de reliance) et dans l’ésotérisme. Rappelons que l’ésotérisme accorde une place dominante au microcosme humain. En effet selon Luc Benoist « il n’y a pas d’équivalence entre exotérisme et ésotérisme, puisque l’aspect intérieur domine l’extérieur, qu’il intègre en la dépassant, même si cet aspect extérieur a pris en Occident l’accent religieux 2« . En d’autres termes, c’est l’interne qui donne sens à l’externe, en l’organisant et en l’intégrant par croissance progressive tel le fruit qui contient en puissance et reflète la structure de l’arbre qui le porte.
Ce point de vue ésotérique émerge étonnamment depuis peu dans la science contemporaine dans le principe anthropique de l’astrophysicien Brandon Carter : l’univers est intelligible pour l’homme car celui-ci en découle. Ce nouveau principe scientifique restitue l’homme dans sa primauté sur le réel physique en lui accordant une place que seule les religions lui assignaient en dignité. Le réel ne serait donc rien sans celui qui en fait l’expérience, il serait même orienté pour l’homme. Ce retour à l’unité semble témoigner que nous sortons peut-être de l’âge du dualisme. Fait remarquable, c’est un astrophysicien qui a pressenti cette complicité de l’homme et de l’univers. Je ne peux m’empêcher de penser à la formule de Blaise Pascal « l’homme passe infiniment l’homme », et ici, ce qui le dépasse en grandeur, le ciel, lui donne toute sa mesure : le ciel est dans l’homme comme l’arbre est dans le fruit…
L’astrologie est donc par nature au carrefour, à la confluence du ciel et de la terre, du monde physique et des lois externes connues et inconnues et du monde psychique avec son paysage d’ombres et de lumières. L’Homme étant le maillon de cette union, de ce mariage entre le haut et le bas, de l’externe et de l’interne.
Cette position lui vaudra de privilégier soit l’interne (astropsychologie, astrologie spiritualiste et ésotérique de type symbolique) soit l’externe (astrologie naturelle, empirique ou rationnelle de type « influencielle », astrologie « corrélative » ou mécaniste de type statisticienne ou scientifique).
Sur la ligne de crête des versants « interne » et « externe », symboliste et physique l’astrologie conditionaliste (fondée par Jean-Pierre Nicola en 1964) tient une position assez nouvelle en prétendant et démontrant que l’interne et l’externe sont liés dans l’homme, que les signaux concrets du ciel et de notre environnement sont liés à nos représentations symboliques et abstraites du monde, que les symboles et les signaux physiques (internes et externes) communiquent 3. Même si la question de fond que pose Jean-Pierre Nicola semble privilégier l’explicative physique(et exotérique), à savoir : « Comment les horloges externes du non-vivant peuvent entrer en résonance avec des horloges internes du vivant ?4« . Il apparaît pourtant en toute logique interne (et ésotérique) que l’externe, n’évacuant pas l’interne, peut rejoindre le plan du symbole dans une approche non exclusive du réel. Si le symbole mène au phénoménal, et lui donne sens, de la même façon, le phénoménal peut mener au symbole, et lui donner sens.
Cette position très novatrice de l’astrologie conditionaliste trouve cependant dans la pensée de Jung ses prémices. Restaurant ainsi le lien entre la symbolique et le physiologique, Jean-Pierre Nicola aura poussé aussi loin que possible l’intuition que C. G. Jung pressentait : derrière l’expression symbolique des archétypes existe un substrat physiologique et matériel 5. Est-ce pour cette raison que l’astrologie conditionaliste dérange le « Landerneau astrologique », en faisant remonter le « refoulé » de l’astro-psychologie, c’est-à-dire sa dimension matérielle, en valorisant le principe de réalité au détriment du principe de plaisir ? Est-ce pour la même raison qu’elle dérange du même coup le discours scientifique en faisant communiquer sur des bases physiques le monde des signaux concrets (référentiel absolu de la science) et la symbolique (le langage mythique des premières civilisations) ? Cette position médiane qu’occupe l’astrologie conditionaliste n’a donc pas finie de nourrir le débat souvent houleux de la position de l’astrologie entre les sciences de l’objet et les disciplines du sujet.
Ce qui me frappe dans les positions de certains astrologues c’est le ton souvent affirmatif et péremptoire de leurs assertions. Et cette tendance à l’affirmation semble plus forte chez les astrologues défendant une approche naturelle ou rationnelle de l’astrologie. Alors qu’aucune preuve objective ne peut être avancée sur les thèses qu’ils revendiquent certains persistent et signent dans leur position unilatérale au nom de la logique. Dans le camp des magico-symbolistes la même attitude de fermeture face à la multiplicité du réel est notable. Le symbole vampirise le réel, alors que sa vocation est d’en révéler les aspects inconnus pour les rendre accessibles à la conscience et à la raison 6.
Où est la vérité du sens du réel ? Quel discours, tant scientifique que symbolique peut prétendre à la plus grande fidélité au réel ? Plutôt que de vérité, par définition jamais entière, toujours trahie, trop proche en tout cas de nos jugements et discours sur la réalité, je préfère employer le terme de pertinence. Est pertinent ce qui, à mon sens, a le plus de rapport avec la réalité que j’étudie, ce qui en rend compte au mieux du point de vue de la cohérence tant interne (entre les éléments d’une théorie ou d’une conception sur la réalité) qu’externe (entre les éléments internes et leurs rapports aux réalités externes). J’examinerai plus loin, sous cet angle cohérence interne/externe, quelques disciplines ou sciences du sujet en montrant que certaines ont une forte cohérence interne, ce qui leur donne une certaine validité même si elles sont bancales ou faibles dans leurs rapports à l’externe, et que d’autres ont une bonne cohérence interne et externe ce qui leur octroie une forte pertinence.
Si la réalité que j’étudie est l’être humain, sa psyché, son esprit, son corps, ses actions alors une approche exclusivement mécaniste et naturelle manquera son objet. L’homme n’est pas réductible à des quantités mesurables.
De même une approche exclusivement magique ou symbolique risque de me faire manquer mon objet d’étude. Que m’apprend le symbole sur mon métabolisme, ma chimie ? Que m’apprend-t-il du fonctionnement de mon système nerveux ou sanguin ?
On se rend compte qu’il est ainsi difficile d’isoler et de comprendre un objet d’étude dans un seul référentiel si on a la volonté de le saisir dans toute sa complexité. Et l’astrologie m’introduit dans cette multiplicité des référentiels 7, d’où à mon sens son statut ambivalent de science, d’art et de magie et l’abondance des ses écoles qui chacune privilégie un ou plusieurs référentiels.
Sommes-nous donc condamner à ne percevoir de la réalité que certains de ses aspects ? Ne risquons-nous pas d’être tentés si ne nous résignons pas à cette incapacité à tout embrasser de sombrer dans un totalitarisme du savoir, d’ériger une vision partielle de la connaissance en un absolu indépassable ? Je crois que l’astrologie plus que toute autre approche du réel et pour les raisons que je viens d’exposer plus haut nous expose à ces errements de la connaissance.
Il me paraît donc important de bien se situer dans son référentiel pour en explorer toutes les facettes et consentir à une saisie partielle de la réalité. Il y a là sans doute une sagesse que tout le monde ne partage pas et qui est sans aucun doute perçue comme mutilante lorsqu’on aspire à un absolu. Je le ressens parfois et ma capacité à sortir sans crispation d’un référentiel de prédilection pour aller à la rencontre (et non à l’encontre) d’un référentiel qui m’est étranger reste pour moi un combat de tous les jours et une aventure enrichissante.
Comme je l’ai évoqué plus haut, le degré de pertinence du discours astrologique peut être un bon critère pour mesurer sa solidité. Je mesurerai ce degré de pertinence en fonction de sa cohérence interne et/ou externe.
L’astrologie symboliste, traditionnelle et ésotérique font référence à des structures ou matrices symboliques qui s’appuient sur la géométrie et sur les propriétés mathématiques de certains nombres 8. Dans la même veine, le système philosophico-divinatoire comme le Yi-King (ou Livre des transformations) des chinois propose un ensemble de 64 hexagrammes organisés de façon très cohérente et qui modélise les états et cycles de transformation se manifestant dans l’univers et dans l’homme. La numérologie offre également un système cohérent de clefs symboliques qui comme son nom l’indique s’appuie sur un traitement logique des nombres. Citons également l’ennéagramme qui se fonde sur les propriétés symboliques des nombres et propose un modèle d’évolution psycho-spirituelle 9. Tous ces systèmes possèdent une logique interne plus ou moins riches et fécondes. C’est leur point fort.
Le Yi-King offre une structure si riche qu’il a inspiré de nombreux mathématiciens (Leibnitz y a redécouvert le système binaire), philosophes (anciens et modernes, de Confucius à François Jullien 10 en passant par le regard historico-critique d’Hegel 11), psychologues des profondeurs (Jung pour qui le Yi-King constituait à ses yeux « la plus belle collection d’archétypes ») et astrologues (l’Astrologie structurale de Duchaussoy y fait référence par exemple pour structurer son discours symbolique). Cette richesse interne du Yi-King, pourvoyeuse inépuisable d’organisation et d’harmonies lui donne donc un certain degré de pertinence sur le réel. Celui-ci étant également riche « d’organisation et d’harmonies » comme la science nous le démontre tous les jours, et de découverte en découverte.
L’astrologie est également structurée (à des doses variables) dans son discours. Et sa richesse de structures internes pourra lui donner un bon critère de pertinence dans l’hypothèse où le réel puisera également à la même source pourvoyeuse « d’organisation et d’harmonies ». Cette hypothèse présuppose en quelque sorte un principe d’unité entre l’interne et l’externe, entre le symbolique et le monde matériel, principe postulé par l’hermétisme dans la Table d’Emeraude « ce qui est en bas (le matériel, les signaux concrets) est comme ce qui est en haut (l’esprit, les signaux abstraits) et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour accomplir le miracle de l’Unité ». A l’appui de ce principe je ne peux m’empêcher de citer un extrait des Eléments de cosmogonie astrologique 12:
« On ne peut comprendre l’œil sans connaître le Soleil »…écrit S. Vavilov (dans L’Oeil et le Soleil). « Au contraire, les propriétés du Soleil nous permettent théoriquement de brosser un tableau des propriétés de l’œil telles qu’elles doivent l’être, sans les connaître, à l’avance. » Cette déclaration d’un académicien des sciences, ex-Président de son académie, mérite d’être élargie : on ne peut comprendre, ni connaître l’homme, sans connaître et comprendre le système solaire, la lumière, la gravitation, tout ce que gouverne le Soleil et qui le gouverne.
Sur ce principe d’intégration, des savants pas trop bornés, des mystiques un peu logiques, s’accordent sans peine ».
Si l’externe et l’interne sont opposables en apparences, ils peuvent en revanche être compris comme les facettes d’une même réalité fortement organisée. C’est à ce titre que ces systèmes d’interprétation à forte cohérence interne comme l’astrologie symbolique, le Yi-King, la numérologie, l’ennéagramme peuvent prétendre à un bon degré de pertinence pour décrire et donner du sens aux réalités vécues et perçues. Mais ses systèmes devront posséder également des règles de validation externe pour contrôler la cohérence et la pertinence du discours. A défaut ils risquent de se déréguler en discours de plus en plus éloignés de la réalité qu’ils supposent décrire. Là est à mon avis la faiblesse de ces approches à logique interne exclusive qui ne se réfèrent qu’à leurs propres règles. Leurs interprétations sont sensibles aux « dérégularisations » par manque d’ouverture à l’externe, un peu comme ces systèmes cybernétiques 13 fermés sur eux-même et qui s’épuisent, se meurent, ou se détériorent dans le temps.
Ce que j’appelle cohérence externe est l’accord d’une logique interne, symbolique ou conceptuelle avec les réalités physiques du monde extérieur. L’observation du réel confirme-t-elle ma logique interne ? Y-a-t-il en somme cohérence d’organisation, contre-point vérifiable entre l’interne et l’externe ? Puis-je séparer et tenir à distance logique formelle et logique empirique ? Question difficile, car elle nous fait entrer en plein débat épistémologique sur les critères de validité d’une théorie ou d’une conception du monde.
Si l’astrologie se positionne sur le terrain de l’explicative physique elle doit donc travailler à démontrer cette cohérence entre le niveau interprétatif de son discours et le niveau des faits qui, à défaut de justifier son discours, ne devra pas l’infirmer tout au moins.
L’astrologie traditionnelle à fort héritage grec nous a légué un ensemble de modèles symboliques plus ou moins cohérent avec le réel. Je pense notamment au système des maîtrises planétaires fondé sur le septénaire sacré qui depuis la découverte récente des trans-saturniennes est devenu passablement boiteux dans son articulation avec le réel astronomique. En outre, les qualités climatiques « chaud, froid, sec et humide » attribuées aux différentes planètes n’ont plus aucun rapport avec la réalité des connaissances actuelles sur la composition chimico-tellurique du cortège planétaire de notre système solaire.
De même la théorie des quatre éléments d’Empédocle (vers 492-432 av. J.-C.) que l’astrologie traditionnelle a intégré dans son discours pose à mon sens un problème de cohérence interne/externe, d’articulation entre son discours et la réalité. Pour le philosophe de la nature qu’était Empédocle, il existait des substances (étymologiquement, qui se tient en dessous des choses) , éléments premiers homogènes se trouvant au fond de la diversité des choses. Pour Empédocle, ces substances premières sont l’Eau, la Terre, le Feu et l’Air. Unis par l’amour (force d’unité), c’est la haine (force de division) qui introduisant un conflit, une division dans l’unité et provoquerait le mélange des quatre substances ou éléments. De ce mélange, de cette combinatoire mue par les forces de l’Amour/Haine 14 surgirait ainsi la diversité des choses, la diversité du concret. Si l’eau, la terre, le feu et l’air sont posés comme des qualités engendrant des quantités, responsables des états de la matière, il est néanmoins remarquable que ces qualités sont aussi « des substances incréées et impérissables 15« . C’est pourquoi, l’articulation de cette théorie avec le réel connu pose problème aujourd’hui. Il n’y a pas quatre substances impérissables, la physique quantique en a révélé bien plus. Faut-il pour autant abandonner la symbolique des quatre éléments ? C’est une question à mon sens de cohérence du discours. Si pour Empédocle, les quatre éléments n’étaient pas des symboles mais des substances, l’usage symbolique que les astrologues de l’antiquité en ont fait est à mon sens légitime dans la mesure où cette symbolique puisait à la source du réel. Pour ma part, cette légitimité est aujourd’hui contestable car je pense que le réel peut accoucher d’archétypes plus universels, plus signifiants au regard de notre connaissance actuelle du monde.
Dans ce regard que je porte sur le monde, dans ce souci que j’ai de concilier et tenir ensemble le plan symbolique et le plan phénoménal, c’est l’astrologie conditionaliste qui me parle le plus, bien que je reste sensible aux autres approches structurées avec lesquelles j’entretiens un dialogue enrichissant. Le lecteur ne s’étonnera pas du soin que j’apporte à expliciter les contenus de l’astrologie conditionaliste, bien que mon désir dans cet article n’est pas de tout vouloir réduire à cette seule approche. Je parle simplement de mon point de vue qui n’a pas prétention à l’universalisme.
Pour revenir au sujet de cette section que j’ai titré Logique et cohérence externe, et après avoir évoqué la cohérence relative de l’astrologie traditionnelle, je tiens à faire remarquer que l’astrologie conditionaliste s’inscrivant dans la tradition astrologique propose également un ensemble de modèles qui ont une bonne cohérence avec le réel astronomique tel que la science le connaît aujourd’hui. Le zodiaque réflexologique, par exemple, met en rapport les rythmes photopériodiques des planètes avec les rythmes internes nerveux. Ce zodiaque qui s’appuie sur la réalité des phases jour-nuit, présence-absence des planètes dans la sphère locale est également présent dans l’homme dans les phases de son activité nerveuse. Aux modulations jour-nuit agissant comme des stimuli ou excitateurs, le système nerveux répond par des réponses également modulées en force, équilibre et intensité. Une même structure est ainsi présente dans l’externe (zodiaque photopériodique) et dans l’interne (zodiaque réflexologique). Je précise que ce dernier n’est pas en contradiction avec le zodiaque symbolique des signes mais qu’il en apporte des clefs structurelles de compréhension. Nous avons là, à mon sens, quelque chose d’assez solide et de très pertinent qui satisfait autant la logique rationnelle, que la logique symbolique. Le modèle RET que de plus en plus d’astrologues connaissent est lui aussi très structuré de manière interne et externe. Je renvoie les lecteurs aux Eléments de cosmogonie astrologique de J.P. Nicola où l’auteur fait une démonstration très intéressante des rapports du RET aux données astronomiques dont il est issu. La force du conditionalisme tient donc à la forte cohérence interne et externe de ses modèles.
Cependant elle aussi n’est pas à l’abri d’obstacles méthodologiques. Je pense notamment à l’obstacle expérimental. En effet selon une définition qu’Henri Laborit donne dans La Nouvelle grille et que je trouve très valable : « L’expérimentation a pour méthode essentiellement d’observer un niveau d’organisation en supprimant la commande extérieure à lui…Elle ferme le système à un certain niveau d’organisation…[par exemple] le physiologiste isole un organe pour en étudier le comportement… ». On voit bien la difficulté majeure que va rencontrer le chercheur astrologue, comment peut-il isoler son objet d’étude (le cosmos) puisque celui-ci le dépasse en grandeur. Comment isoler l’effet d’un stimulus « astral » sur un organe, une fonction cérébrale ou une émotion ? Il sera donc difficile voire impossible de mener des expérimentations valables, bien circonscrites pour démontrer scientifiquement les assertions et hypothèses astrologiques, fussent-elles logiques, cohérentes et pertinentes comme je viens de l’expliquer.
Quant à la tentation statisticienne et naïve de vouloir démontrer l’astrologie, beaucoup de chercheurs s’y sont cassés les dents. J’ai abordé ce sujet dans une communication lors du colloque de 1997 organisé au FIAP de Paris L’Astrologie, Une science en marche. Pourquoi ai-je qualifié cette tentation de naïve ? Parce qu’elle repose sur une hypothèse très positiviste et causaliste : le déterminisme mécanique de l’astrologie. C’est ignorer sa nature fondamentalement chaotique et stochastique (c’est-à-dire prise dans un faisceau de variables dont certaines restent imprévisibles car inconnues ou cachées). En d’autres termes, l’astrologie est conjecturale et non déterministe, ce qui rend vain tout effort d’établir des corrélations quantifiables entre résultats statistiques et faits astrologiques. Suzel Fuzeau-Braesch 16 ne m’a jamais convaincu, malgré sa solide formation scientifique, sur sa démarche statisticienne. Cette chercheuse, si respectable soit-elle, confirme que chercher des faits par les statistiques sans poser d’hypothèse astrologique préalable revient à chercher une aiguille dans une meule de foin.
Enfin pour clore ce chapitre, comme le dit Michael Guillen 17 , « Les statistiques ne peuvent révéler du comportement humain que sa part prévisible, non sa part imprévisible, qui est pourtant celle dont les effets sont historiquement les plus lourds de conséquences »
Il est grand temps maintenant d’aborder la question du sens que posent les sciences humaines ou discipline du sujet. Cette question a été abordée sous différents angles mais de manière générale au début de cet article. Alors que les sciences de l’objet n’ont pas vocation de donner du sens à la vie individuelle, collective ou spirituelle de l’être humain, leur domaine de prédilection étant la description du monde, des phénomènes, leur compréhension sous l’angle de la mesure et du quantifiable, elles laissent par conséquent l’homme bien démuni face à lui-même et au mystère de la vie. Si l’astrologie développe excessivement sa dimension « physicienne » à la manière des sciences de l’objet, ne risque-t-elle pas de ‘déréférencer’ l’homme dans son besoin le plus essentiel : la quête du sens.
Nous avons évoqué tout à l’heure la fameuse loi de la Table d’émeraude. Or beaucoup de nos efforts, même en sciences humaines, partent de l’externe pour comprendre l’interne, si bien que la séparation reste entretenue entre l’homme et le monde. Comme le dit si bien Annick de Souzenelle dans le Symbolisme du Corps Humain :
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », dit encore la Sagesse Hermétique. Et cette seconde clef ne nous invite-t-elle pas à considérer d’une part l’Homme dans le Monde et, de l’autre, le Monde en l’Homme, comme l’endroit et l’envers d’une même médaille, d’une même réalité, les deux aspects manifestés étant reliés ainsi par « l’intérieur » ?
Cette loi de la sagesse hermétique nous met donc sur la voie du sens. La réponse est à « l’intérieur », dans l’Homme, merveille des merveilles, sommet de la création selon la tradition biblique. C’est donc dans ce retour à l’Homme, après ce long détour par l’externe, que nous devons à mon sens tenter de réconcilier les approches internes et externes de l’astrologie, symboliques et physiciennes, psychologique et rationnelle. Comme le dit le titre d’un ouvrage de Christiane Singer dont j’admire l’écriture sensible et nourrie de solides traditions judéo-chrétiennes : Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? 18. Je ne résiste pas au plaisir de la citer :
«De quelle manière le visible est-il relié à l’invisible, le sacré au profane, le corps à l’âme ? Par mille fils emmêlés les uns aux autres et réunis en un nœud.
Des sages d’Asie Mineure demandèrent à Alexandre Le Grand en désignant le nœud gordien : « Sais-tu de quelle manière les mondes sont reliés entre eux ? » Il répondit à ‘la texane’ comme un quelconque ‘terminator’ au rabais, par un geste qui lui valut l’admiration des sots : d’un coup de sabre ! En coupant en son milieu le nœud, il entérine le drame de l’Occident : la mort de la relation, l’ère de la dualité, le terrorisme du « ou bien, ou bien » qui traverse toute l’institution de notre imaginaire, du politique à l’informatique. Dès lors le prodigieux déploiement de la richesse qui habite entre les pôles, l’espace même de la respiration est sacrifié. Le monde moderne est né.
Que veut-dire ce nœud ? Ce nœud que, dans le commentaire talmudique, Dieu porte dans la nuque quand Moïse l’aperçoit de dos.
Le nœud exprime le mystère du monde créé. Rien n’est linéaire, ni causal, ni prévisible. Le nœud nous dit : prends soin du monde et de tout ce qui te rencontre. L’inattention te coûterait cher, te ferait rater les plus grands rendez-vous. Tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté (c’est moi qui souligne). A l’autre bout.»
« Tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté. » Cette sage parole me permettra de conclure à l’adresse des astrologues, qu’ils soient partisans de l’interne ou de l’externe, du côté de la psyché ou du côté de raison, du symbolisme ou de l’expérimental. Gardons-nous bien de ne pas couper ce fil qui nous relie au réel, à la vie dont le sens nous échappe en partie, mais nous relie pourtant mystérieusement à sa totalité. Et sachons pratiquer une astrologie qui soit comme une grande respiration entre les deux rives du réel, une astrologie ‘nodale’ exprimant le mystère du monde créé à la conjonction des réalités qui trop souvent nous divisent. Telle est aujourd’hui mon utopie.
Gwen, mai 2004
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