L’astrologie a un statut ambigu dans les sciences ou disciplines du sujet : elle est une technique de connaissance de soi et du monde qui se réfère tout à la fois à un plan symbolique et à un plan physique (le réel astronomique) d’où elle tire son discours. Discours relativement structuré dont l’articulation interne semble héritée de la nature de son objet principal d’évaluation, le ciel, observable, quantifiable et prévisible, car cyclique.
Ce qui n’est pas le cas de la plupart des techniques, disciplines ou sciences humaines. Ces dernières, même si elles font références à des facteurs externes explicatifs (les déterminismes familiaux, sociaux, historique, etc.) restent néanmoins privées d’une mesure quantifiable des déterminismes qu’elles étudient (comment mesurer l’histoire de l’individu par exemple).
Quant aux autres techniques ou systèmes explicatifs du sujet, que ce soient le Yi-king (à dimension cosmologique), la tarot, l’ennéagramme, la numérologie, la chiromancie, et autres mancies, toutes se réfèrent à une logique interne ou à un plan symbolique qui, de toute apparence, n’a peu ou pas de relations quantifiables avec le monde physique et ses lois.
L’astrologie serait à ma connaissance la seules de ces sciences interprétatives puisant à la source du réel physique. Ce qui lui vaudra de ce double héritage, un double langage l’exposant aux tirs croisés des visions exclusivement monoculaires. D’un côté le camp des magico-symbolistes purs et durs, pour qui tout ne s’explique que par le symbole, de l’autre les ultra-scientifiques, pour qui le monde ne s’explique que par lois physiciennes. Cette dualisation extrême des points de vue semble attester que le monde possède deux réalités coexistantes, séparées, sans contagion possible ou enrichissements féconds mutuels. Est-ce un état de fait inhérent au réel ou une vision du monde inhérente à la nature de notre univers mental et perceptif ?
Cette vue place le sujet dans la position d’un observateur extérieur à lui-même, décentré, qui regarde le monde de façon abstraite (dans le sens de tirer hors de soi, séparer selon la racine latine), objective. Cette conception du monde a été remise en question par les lois quantiques de la physique au début du siècle. Mais cette notion imprègne encore nos modèles de pensée à la façon d’un paradigme indépassable. L’origine de cette pensée prendrait sa source dans la philosophie grecque présocratique, mais aussi au début de notre époque moderne relayée par Copernic et la philosophie cartésienne.
Cette vision du monde affirme l’objectivité du réel : le monde possède ses propres lois indépendamment du constat ou de l’expérience que je peux en faire. Le sujet est ainsi évacué au profit d’une objectivité accessible par la raison. Derrière les qualités (ordre subjectif) demeure un quantitatif mesurable (ordre objectif). De cette approche l’astrologie a hérité de tout un pan explicatif par l’externe, par les réalités objectives mesurables.
Cette vision du monde dualiste nous apporte une connaissance sur les lois de l’univers, certes, mais l’homme lui, est-il explicable pas ses mêmes lois ? Cette question que soulève ce dualisme, Socrate l’avait déjà posée à ses prédécesseurs (Démocrite, Héraclite, Anaximandre). La question du gnoti seauton (le fameux « Connais-toi toi-même ») est toujours d’actualité puisque la question de l’homme reste entière malgré les siècles de philosophie, de religions, et de sciences et techniques ! Socrate ouvre donc une brèche dans la philosophie naturelle : le problème de l’homme est bien plus dans l’homme que dans la connaissance des lois de l’univers. De cette approche centrée sur l’homme, l’astrologie en sera héritière dans ses courants humaniste et spiritualiste.
C’est avec la phénoménologie que la relation entre l’homme et le monde, entre le subjectivisme et l’objectivisme prendra valeur de réalité. Détrônant ainsi le statut d’objectivité d’un monde bien abstrait, sans saveur ni odeur, à la faveur de la rencontre ’phénoménale’ du sujet et du monde. Dans cette visée phénoménologique, le monde et les phénomènes ne sont rien sans l’existence d’un sujet, d’une conscience ou d’une subjectivité qui les fonde et leur donne sens. L’objet se donne ainsi dans une subjectivité. Subjectivité sans laquelle l’objet ne pourrait révéler sa nature en-soi.
A mon sens la relation entre Astrologie et Phénoménologie est assez étroite. Il y a là une pensée qui ne sépare pas radicalement l’Objet et le Sujet et laisse tout un champ de fécondation et mariage possibles entre l’externe et l’interne, entre le Ciel et l’Homme, champ relationnel qui est lieu même du discours astrologique.
Alors que les sciences de l’objet n’ont pas vocation de donner du sens à la vie individuelle, collective ou spirituelle de l’être humain, leur domaine de prédilection étant la description du monde, des phénomènes, leur compréhension sous l’angle de la mesure et du quantifiable, elles laissent par conséquent l’homme bien démuni face à lui-même et au mystère de la vie.
Comme le dit si bien Annick de Souzenelle dans le Symbolisme du Corps Humain :
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », dit encore la Sagesse Hermétique. Et cette seconde clef ne nous invite-t-elle pas à considérer d’une part l’Homme dans le Monde et, de l’autre, le Monde en l’Homme, comme l’endroit et l’envers d’une même médaille, d’une même réalité secrète, les deux aspects manifestés étant reliés ainsi par « l’intérieur » ?
Cette loi de la sagesse hermétique nous met donc sur la voie du sens. La réponse est à « l’intérieur », dans l’Homme, merveille des merveilles, sommet de la création selon la tradition biblique. C’est donc dans ce retour à l’Homme, après ce long détour par l’externe, que nous devons à mon sens tenter de réconcilier les approches internes et externes de l’astrologie, symboliques et physiciennes, psychologique et rationnelle. Comme le dit le titre d’un ouvrage de Christiane Singer dont j’aime l’écriture sensible et nourrie de solides traditions judéo-chrétiennes : Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?. Je ne résiste pas au plaisir de la citer :
De quelle manière le visible est-il relié à l’invisible, le sacré au profane, le corps à l’âme ? Par mille fils emmêlés les uns aux autres et réunis en un nœud.
Des sages d’Asie Mineure demandèrent à Alexandre le Grec en désignant le nœud gordien : « Sais-tu de quelle manière les mondes sont reliés entre eux ? » Il répondit à ‘la texane’ comme un quelconque ‘terminator’ au rabais, par un geste qui lui valut l’admiration des sots : d’un coup de sabre ! En coupant en son milieu le nœud, il entérine le drame de l’Occident : la mort de la relation, l’ère de la dualité, le terrorisme du « ou bien, ou bien » qui traverse toute l’institution de notre imaginaire, du politique à l’informatique. Dès lors le prodigieux déploiement de la richesse qui habite entre les pôles, l’espace même de la respiration est sacrifié. Le monde moderne est né.
Que veut-dire ce nœud ? Ce nœud que, dans le commentaire talmudique, Dieu porte dans la nuque quand Moïse l’aperçoit de dos.
Le nœud exprime le mystère du monde créé. Rien n’est linéaire, ni causal, ni prévisible. Le nœud nous dit : prends soin du monde et de tout ce qui te rencontre. L’inattention te coûterait cher, te ferait rater les plus grands rendez-vous. Tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté. A l’autre bout.
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