Selon les méthodes d’interprétations développées par l’Astrologie conditionaliste®, la planète occupant la dernière place dans la hiérarchie planétaire natale est appelée « fonction aveugle ».
Le S.O.R.I. (Sujet-Objet-Relation-Intégration) représente 4 référentiels distincts permettant de situer l’influence planétaire.
Fabulons, c’est fabuleux !
L’Aveugle et le S.O.R.I. ! Le titre à des allures de fable… ! Et de fait, autant dire qu’il s’agit, dans ces quelques pages, d’une affabulation, au sens fort d’arrangement, de mise en ordre imaginaire.
Si tout le monde s’accorde en effet sur l’importance, dans un thème, de la fonction aveugle, cette dernière peut paraître encore difficilement maniable, ou, au contraire, trop facilement maniable. En ce sens, cet article n’a pas d’autre ambition que de proposer une tentative de structuration de ce qui se présente, aux yeux de certains et à commencer par les miens propres, sous les traits mêlés de l’évident et de l’insaisissable.
Qu’on ne se méprenne pas ! II s’agit bien d’une proposition, d’une hypothèse de travail, d’un tremplin de réflexions, en aucune manière d’une prétention explicative de la fonction aveugle. En d’autres termes, il ne s’agit pas de clore la question sous la forme d’un expose dogmatique, mais d’ouvrir au contraire une discussion : l’objectif principal en est d’instaurer un dialogue avec les lecteurs… Aussi êtes-vous vivement invités à faire part, en retour, de vos impressions personnelles, de vos réflexions, de vos suggestions, voire de vos expériences.
Au départ, il y a un propos de Jean-Pierre Nicola, en été 1983, selon lequel la planète aveugle était l’objet de différents avatars, en premier lieu d’un refus, puis d’une perturbation, d’une obsession, d’une fascination, le stade ultime étant l’Intégration. c’est bien sur ce dernier terme qui, de « fil en anguille », m’a amené à penser que le système du S.O.R.I. pouvait servir de modèle et de structure susceptible d’éclairer la dynamique vivante de la fonction aveugle. Déduction et séduction néanmoins toute théoriques, théorie qui demandait et qui demande encore a être expérimentée in vivo…
Définissons les termes…
– Sujet : Le Sujet en tant qu’être conscient, postulat individuel qu’il est inutile, sinon impossible à définir.
– Objet : Ce qui est hors du Sujet, face au Sujet, ce qui existe indépendamment du Sujet, c’est-à-dire non-en-Relation avec ce dernier. L’Objet est donc la réalité extérieure au Sujet, non personnelle, et donc les « autres » font nécessairement partie.
– Relation : Dans la mesure ou l’Objet est défini comme existant indépendamment du Sujet, la Relation sera le rapport de dépendance, la connexion établie entre Sujet et Objet. On entendra ainsi par Relation, le rapport effectif, le lien concret que le Sujet lie à l’Objet, et dont les relations humaines ne sont qu’un aspect.
– Intégration : Elle apparaît comme la résultante par laquelle le sujet intègre et s’intègre tout a la fois. II semble qu’il y ait une dialectique Sujet-Intégration, toute intégration nouvelle produisant un nouveau Sujet.
La résultante, néanmoins, peut tout aussi bien être une non-intégration, et c’est là que nous rejoignons la fonction aveugle, dans la mesure où elle est, – relativement à l’ensemble du thème -, la moins à même d’être intégrée par le Sujet et par là même de l’intégrer.
La division en Sujet, Objet, Relation, Intégration, n’est que conceptuelle. En fait, il n’y a pas de Sujet en soi, c’est-à-dire sans Objet extérieur au Sujet, sans Relation à un quelconque Objet, sans Intégration donc. On peut néanmoins, analytiquement, distinguer ces quatre plans de référence et considérer la fonction aveugle à partir de chacun d’eux.
L’Aveugle et le Sujet :
C’est le « manque » (relatif !) du Sujet, et dont le Sujet n’est pas – dans un premier temps du moins – conscient. C’est la « carte manquante », ou plus exactement celle qui représente la faiblesse potentielle de son jeu.
L’Aveugle et l’Objet :
Dans l’économie ou l’alchimie de la psyché, tout vide crée une aspiration : le manque au niveau du Sujet entraîne un appel inconscient au niveau de l’Objet : l’Objet correspondant à la fonction aveugle peut être, pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Nicola, fascinant.
Ainsi un Mars aveugle peut-il être attiré par l’ »Objet marsien », par les personnes ou les personnages qui incarnent la fonction marsienne de façon non-caricaturale et non-péjorative.
Ainsi, Nerval, avec sa Vénus en relative faiblesse, était-il fasciné par l’ »Objet vénusien », par cet objet de désir qu’est la femme, obsédé par la quête d’une relation privilégiée, hanté par la recherche de l’ »âme-sœur » qu’il projette en Adrienne et qui prendra forme sous les traits imaginaires d’Aurélia.
Par là, dans la mesure ou, au niveau de l’Objet, il n’y a pas de Relation réelle et effective à l’Objet, ce dernier pourrait être le lieu de toutes les projections imaginaires du Sujet. Aussi pourrait-il y avoir un rapport entre la faiblesse d’Uranus dans le thème de Nerval, et son obsession délirante à vouloir réduire et résumer l’univers, à trouver la formule alchimique, le symbole, le nombre, le signe cabalistique, « l’alphabet magique », « l’hiéroglyphe mystérieux »…
Ainsi l’Objet correspondant à la fonction aveugle parait le lieu d’une aspiration, aspiration qui peut éventuellement donner naissance à des développements relevant du simple discours ou du pur imaginaire : un Mars aveugle peut se vivre en combatif, en aventurier… tant qu’il n’est pas « en situation » ; la Vénus « borgne » de Nerval permettait ace dernier de se vivre en amoureux tant qu’il demeurait à distance, tant qu’il demeurait extérieur aux situations amoureuses : son amour « a besoin de la distance » : » Ce n’est que loin de vous que je suis violent… ».
L’Aveugle et la Relation :
La Relation est relation effective entre Sujet et Objet. En ce sens, elle met le Sujet « en situation », au sens philosophique du terme de « ensemble des relations concrètes qui, à un moment donne, unissent un sujet au milieu et aux circonstances dans lesquelles il doit vivre et agir » (Petit Robert). On pourra parler ainsi de situation marsienne, solaire, vénusienne…, c’est-à-dire où l’individu doit « vivre » sa fonction marsienne, solaire, vénusienne…, doit « agir », se comporter en marsien, solaire, vénusien…
Puisqu’il s’agit de fonction aveugle, on peut penser que le comportement sera le plus souvent inadéquat : la « carte manquante » du Sujet devient la carte qu’il ne sait pas manier dans un jeu qu’il ne maîtrise pas. En ce sens, la fonction aveugle, non-dominante, serait aussi la fonction non-dominée, et serait donc par là-même l’occasion et le lieu d’un dysfonctionnement.
On peut imaginer ainsi plusieurs variantes sur le thème d’une réponse inadéquate, inactuelle, intempestive : le Sujet ne joue pas sa carte, ou peu souvent, il la joue mal, il ne la joue pas quand il faut ou la joue quand il ne faut pas… un sérieux manque d’à-propos…
Avec la fonction aveugle saisie au niveau Relation, on pénètre ainsi au royaume des difficultés en tous genres, dérapages non contrôlés, déconfitures et peaux de banane, et chacun sait que la déconfiture de peaux de banane, ça n’est pas nécessairement digeste… ! Apprentissage douloureux d’une fonction que je ne maîtrise pas ou mal, et qui n’est donc pas mon « fort ».
Chez Nerval, la « mise en situation » vénusienne, la relation privilégiée donc, donne lieu à d’innombrables rates, ratages et ratures :
« Ce n’est que loin de vous que je suis violent et que je me livre aux idées les plus extrêmes… En votre présence…, je faisais la parodie de mes propres émotions ; il me semblait qu’il était question d’un autre ».
En d’autres termes, l’amour que le Sujet nervalien projette sur l’Objet de son désir, cet amour qu’il cultive à distance, « capote » – si l’on peut dire ! – dès qu’il se trouve « en situation », en Relation, « s’évanouit dès qu’il veut toucher l’idole ».
L’Aveugle et l’Intégration :
La fonction aveugle aboutit ainsi logiquement et le plus souvent, à une non-intégration : le Sujet ne s’intègre pas dans la Relation, n’en intègre pas l’Objet, et non intégré, se trouve donc renvoyé à lui-même. Qui dit intégration ratée, dit, d’une manière ou d’une autre, rejet, quelle qu’en soit la forme : rejet de la Relation par évitement d’un certain type de situation, rejet de l’Objet, par négation, dévalorisation ou « péjorativisation » – si j’ose employer ce néologisme – , rejet du Sujet qui peut devenir, comme pour Nerval, étranger à la situation :
« Il me semblait qu’il était question d’un autre ».
Rien n’empêche toutefois que la fonction aveugle puisse être, en certaines occasions, intégrée. Il faudrait parler des lors du « bonheur » de l’intégration, du « bonheur » de se sentir autre que soi – et non plus étranger à soi -, d’accéder à une autre dimension de soi-même. La fonction aveugle apparaît ainsi comme le lieu et l’occasion d’une transformation du Sujet : le « devenir autre » n’est plus vécu, comme chez Nerval, comme une étrangeté, mais comme une transfiguration.
Nous avons émis l’hypothèse que l’Objet pouvait être pour le Sujet le lieu d’une aspiration. Et l’Objet, c’est aussi l’ »autre », cet « autre » qui existe indépendamment de moi, avec lequel je ne suis pas en Relation. L’ »autre » ainsi peut être « fascinant » dans la mesure où il incarne ma fonction aveugle.
Cette figure particulière peut s’énoncer plus simplement de la façon suivante : un Mercure « aveugle » peut être aveuglé par un Mars dominant, un Mars « aveugle » attiré par les Mercure dominant, mais ce, tant qu’il n’entre pas en Relation avec lui : si l’Objet est fascinant, la Relation devient vite discordante, l’Intégration difficile sinon périlleuse… une autre façon de dire que les contraires s’attirent mais se repoussent… ! En un mot, c’est l’ »enfer » ! Rien avoir avec le paradis ou la Terre promise ! et l’ »enfer », c’est un beau symbole de non-intégration, n’est-il pas ?
Il ne s’agit, dans ces quelques pages que d’un modèle permettant d’aborder la fonction « aveugle » et d’en cerner – à défaut d’en discerner – la complexité. Un modèle, c’est-à-dire un éclairage particulier, sous-entendu que ce n’est pas la le seul possible, que la fonction « aveugle » aurait pu être « décrite » différemment. Le modèle n’est ici qu’un instrument théorique permettant de saisir sous uns forme nécessairement schématique, la complexité vivante d’un mécanisme. Et je pense qu’en définitive, c’est surtout cette complexité qu’il faut retenir, complexité dont le S.O.R.I. m’a paru en partie rendre compte.
Si la fonction aveugle, en effet, se dresse comme une évidence, l’erreur serait de la saisir sous les auspices de la simplicité, et donc, sous forme de simplifications rapides et abusives, style « le Mars aveugle est inactif », « la Vénus aveugle insensible et froide », ou « le Jupiter aveugle un inadapté des gros sous… ». « Simplifier c’est réduire », disait Bachelard, et réduire, c’est bien souvent tout ramener à des cliches, lieux communs, stéréotypes de tous poils. L’étude du R.E.T. et de la Théorie des âges montre assez que l’on ne peut se fier aux poncifs planétaires, pour ne pas les appliquer de façon grossière à la fonction aveugle. Car après tout, un lunaire est actif à sa manière : seules diffèrent les modalités, peut-être, les motivations, sans doute, de l’action.
Complexe, la fonction aveugle paraît le lieu non seulement d’une ambivalence, mais d’une polyvalence, polyvalence dont il faut tenter de rend rendre compte pour ne pas la considérer comme un moyen de pouvoir dire tout et n’importe quoi. Rien n’empêche, dans la dynamique du vécu, que la fonction aveugle soit l’occasion, simultanément, successivement ou alternativement, d’une aspiration, d’un dysfonctionnement et d’un rejet.
Complexe enfin, la fonction aveugle, parce que relative : entendons par là que le « manque » ne saurait être absolu mais relatif, c’est-à-dire, lié d’une part à la structure du thème, lié d’autre part à l’histoire elle-même de l’individu : on ne peut comprendre la fonction aveugle qu’en la situant par rapport à l’ensemble du thème, l’interpréter qu’en fonction du vécu individuel, qu’en replaçant le Sujet dans une époque et dans un milieu, et plus précisément dans son histoire personnelle, dans l’histoire de ses Relations.
Prise dans un tel réseau de significations, la fonction aveugle ne saurait être saisie en prenant le S.O.R.I. comme règle stricte et absolue d’interprétation. Ne le considérons que pour ce qu’il est : un modèle, un instrument d’expérimentation, d’investigation, que les lecteurs voudront bien, je l’espère, tester.
Philippe Pinchon, juin 1986
Article paru dans le n° 11 des Cahiers conditionalistes (juillet 1986).
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